Création
Le monde a été créé à partir du néant, yesh me-ayin. Mais ce néant n’est pas un simple vide passif : il est la matrice dynamique de toute existence. Dans la pensée kabbalistique et chez Rabbi Naḥman de Breslev, ce néant recèle deux forces opposées mais complémentaires, constitutives de toute réalité : la force d’attraction (koach ha-moshèkh) et la force de répulsion (koach ha-dochè). Ensemble, elles façonnent le rythme de la création, la dynamique de l’âme et le chemin de retour vers la lumière divine.

Création, Contraction et Vide
La Scène Originelle
Le Ari Zal enseigne que Dieu, pour créer le monde, a dû contracter Sa lumière infinie — Tsimtsoum — afin de laisser place à l'existence. Cette contraction engendre un vide (halal panouy) dans lequel la lumière peut revenir de manière dosée et structurée. Ce vide est donc la condition de possibilité de la lumière.
Rabbi Naḥman, dans le Likoutei Moharan I, 64 et Torah 18, approfondit ce mystère : il distingue deux types de vide — un vide apparent et un vide réel — et montre que c’est dans le plus grand vide que se cache la plus haute lumière, une lumière tellement subtile qu’elle ne peut être perçue.
La force d’attraction : Le Désir de Retour
La force d’attraction représente le mouvement de la créature vers son origine, le désir de revenir à la Source. C’est le ratso, le mouvement d’élan de l’âme vers Dieu. Il s’exprime dans la prière, l’étude, la téchouva. Rabbi Naḥman explique que chaque chute, chaque éloignement, suscite un désir plus fort, plus profond, d’attirer la lumière dans le vide intérieur.
Cette attraction est rendue possible précisément par le vide, car ce vide crée un espace de manque, et donc de désir. Là où il y a un manque, il peut y avoir une aspiration. Là où il y a obscurité, la lumière est espérée.
La force de répulsion : La résistance nécessaire
Mais à l’autre pôle, il y a la force de répulsion. Dieu « repousse » la lumière, ou l’homme, pour préserver la liberté, pour empêcher l’annulation dans l’infini. C’est le shov, le retour vers la forme, la limite, la structure. C’est la gravité spirituelle qui permet à l’être de se tenir, de subsister comme entité distincte.
Rabbi Naḥman enseigne que chaque montée vers la lumière est suivie d’un recul, d’une chute apparente. Non pas comme un échec, mais comme une nécessité cosmique : si l’homme montait sans cesse, il brûlerait ; il doit redescendre pour intégrer la lumière reçue.
Le dialogue entre vide, lumière et mouvement
Ainsi, la dynamique spirituelle est cyclique : ratso vashov — attraction et répulsion, élévation et redescente. Le vide attire la lumière ; la lumière crée un trop-plein qui doit être repoussé pour que l’équilibre demeure.
Ce cycle est au cœur du Likoutei Moharan I, 6, où Rabbi Naḥman décrit comment le Tsadik, par son enseignement et son silence, attire les âmes à Dieu. Mais parfois il se tait, il se retire — non pas parce qu’il rejette, mais parce qu’il laisse un espace de vide propice au désir et à la recherche personnelle.
Application existentielle : le travail de l’homme
Dans la vie de l’homme, ces deux forces se manifestent dans toute tension intérieure : vouloir progresser, mais être ralenti ; se sentir attiré vers Dieu, mais retombé dans la matière. Ce va-et-vient est non seulement normal, mais sacré.
Rabbi Naḥman enseigne qu’il ne faut jamais désespérer des chutes, car elles sont les récipients futurs de montées plus hautes. Le vide, la rupture, le sentiment d’éloignement sont en réalité les préparations de l’attraction suprême.
Conclusion
La création tout entière repose sur ces deux forces fondamentales : attraction et répulsion, qui se répondent dans un équilibre subtil. Le vide n’est pas l’absence, mais un appel à la lumière. Et la lumière n’est pas un état permanent, mais un mouvement, une danse cosmique entre le désir de fusion et la nécessité de séparation.
Rabbi Naḥman nous invite à sanctifier ce rythme, à accepter les allers-retours de l’âme, et à reconnaître dans chaque vide intérieur une opportunité de faire jaillir une lumière plus haut
